Washington Black – Esi Edugyan

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Traduction de Herpe-Voslinsky, Michelle

Ce roman (d’aventures ? Historique ?), raconte l’histoire d’un jeune esclave de 11 ans de la Barbade, Georges Washington Black dit Wash, qui se raconte à postériori.

Trop tôt arraché à sa relation trouble mais forte avec Big Kit, une femme esclave de fort caractère riche de ses traditions africaines, il va être prêté au jeune frère excentrique du nouveau Maître, cruel, cauchemardesque et tyrannique Erasmus Wilde, qui s’appelle Christopher Wilder, et qui porte le sobriquet de Titch (donné par ses parents parce qu’il était tout petit).

Dans la plantation au nom si ironique de Faith (espoir, confiance), Titch emprunte le jeune Wash.

Mais pour quelle véritable raison ?

Est-ce vraiment pour l’assister dans ses travaux scientifiques pour construire l’aérostat, un ballon dirigeable, afin de réaliser enfin son rêve de traverser l’Atlantique ?

Ou est-ce parce que Wash est un poids plume qui va aider à la stabilisation dans l’air de cette espèce de montgolfière au nom poétique (ou prosaïque selon) de « Fendeur-de-nuages » ?

Cette question va traverser le roman tout le long des destins des personnages.

Ainsi, le flou va persister entre : « Ton véritable travail sera de m’assister dans mes recherches scientifiques », et « Le poids, vois-tu, c’est la clé du Fendeur-de-nuages. »

Dans cette époque où un esclave pouvait se retrouver avec des noms de célébrités comme Georges Washington, Emmanuel Kant, René Descartes ou Emilie du Chatelet, le destin tenait à un fil ténu dans les mains des Maîtres Blancs.

C’est ainsi que Wash, accusé à tort d’un meurtre, doit quand même s’enfuir avec son Titch, à bord de l’aérostat.

Dès lors, entre 1830 et 1836, Wash et Titch, devenus des fugitifs liés par leur relation ambigüe (entre amitié, fidélité et loyauté), vont parcourir d’autres espaces et des aires de vie, dans de folles aventures, et des rencontres inattendues qui vont influer sur le cours de leurs destins.

De La Barbade au naufrage dans l’océan, du Haut-Canada à la Nouvelle Ecosse, de l’Angleterre à Amsterdam puis au Maroc, Wash, mais aussi Titch, suivant différentes routes, vont aller d’initiation en initiation, d’une quête à l’autre, à la recherche de la liberté, de leurs propres identités, de leurs âmes perdues (?).

En ce siècle où la mort d’un esclave était plutôt une libération, la vie, la survie de Wash va l’amener à des questionnements d’ordre existentiel et philosophique, dont la première se trouvera être : « que faire de sa liberté ? ».

En réalité, Titch dévoilera à Wash sa nature abolitionniste, sa mission, et même ira jusqu’à lui dévoiler qu’il est en train d’écrire, pour la Société des Abolitionniste Anglais à Londres, un « Catalogue des injustices et cruautés infligées sur les corps et les esprits des esclaves noirs sur une plantation de La Barbade dans les Antilles Anglaises «  et que, par rapport à sa conception de la liberté, et ses principes humanistes, il ajoute « les Noirs sont aussi des créatures de Dieu, avec les mêmes droits à la liberté : l’esclavage est une souillure morale pour nous. Si une chose doit priver les Blancs de leur paradis, ce sera bien celle-ci ».

Il faut juste remarquer que dans sa fuite, Wash fera de belles rencontres aux prénoms prédestinés ; dans le bateau sur lequel va s’écraser l’aérostat, le capitaine s’appelle Benedikt Kinast (Bénédiction), son frère s’appelle Théo Kinast (Theos égal Dieu), et que dans l’Antarctique, il va rencontrer Hésiode – le-poète ; sans compter qu’à la plantation, il a toujours été sous la rude protection « maternelle » de Big Kit (Big Kiss, le Gros Bisous ?).

En fait, ce symbolisme positif des noms ne présage pas que d’une vie de malheurs et de misère pour Wash…

En l’espace de 6 ans, les péripéties vont affluer dans sa vie, pour en changer le cours initial. Il va apprendre à lire, améliorer son génie de dessinateur instinctif ; défiguré dans un terrible accident, il va fuir avec Titch par les airs, avant de faire naufrage, puis passer par le Haut-Canada (actuel Ontario), la Havane, l’Amérique et l’Arctique ; puis ce sera au tour de la Nouvelle-Ecosse, de l’Angleterre, où, ironie du sort, il va assister avec jubilation à la pendaison du terrible détective-chasseur de primes John Willard, qui le pourchassait toujours pour une question d’honneur personnel et d’égo, même s’il y a avait prescription depuis longtemps.

John Willard incarne cette Épée de Damoclès sur la tête du nègre. Même invisible, elle fait régner la peur et la terreur (tel le Ku Klux Klan), d’une manière permanente et indélébile.

Cependant, ni l’aventure, ni la quête ne se terminent en Angleterre. Elles se poursuivront à Amsterdam, puis au Maroc, avec les retrouvailles tant attendues avec Titch, qui disait de Wash, qu’il était « né avec un fer à cheval dans la main. »

Marqué au fer rouge pour l’éternité ? Peut-être était-ce le Destin de l’esclave…

Mais ce qu’il faut retenir de ce roman au style d’écriture bien ciselé, alerte, rythmé, divisé en quatre parties, vivant par ses dialogues, c’est que c’est une histoire d’expérimentation de la liberté, de la possibilité de choisir, d’une découverte émerveillée et magique de mondes ; mais n’est-ce pas surtout une histoire d’initiation au voyage, d’apprentissage de la réalité effective, concrète, de la liberté, et du sens de l’émancipation.

Justement, comment faire l’expérience de la liberté, quand l’esclavage perdure sous ses formes les plus diverses, les plus insidieuses ? Quand la liberté a un prix que ne peut payer l’esclave « libre » ? Quand la liberté physique est encombrée par les lourdeurs de la réalité, par la culpabilité d’être libre ?

Cependant, ce roman, dont la lumière et la littérarité ne sont pas à démontrer, est aussi un récit sur l’amour entre des personnages denses et épais : entre Wash et Big Kit, entre Titch et son père Monsieur Wilde le savant, entre Titch et son cruel frère Erasmus Wilde, entre Titch et Wash, et entre Wash et la belle Métisse Tanna.

Toutes ces amours différentielles portent les couleurs singulières de leur force, et de leur intensité.

Il en sera ainsi de la séparation-trahison-abandon de Titch dans la neige : « Il entra dans le vide, et l’oubli fatal du lieu se referma sur lui, l’avala tout entier. Et c’est ainsi qu’il sortit calmement de sa vie, pour se perdre ».

L’histoire de Wash à rebondissements, et elle emprunte de vrais chemins de traverse et d’errances.

Tanna, son amour, dira de lui, après une nouvelle blessure : « Tu es comme un rebondissement dans un roman »