Triangle amoureux

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« L’antĂ©-peuple Â» est le premier roman de Sony Labou Tansi – de son vrai nom Marcel Ntsoni – romancier, poète et dramaturge congolais nĂ© en 1947 et dĂ©cĂ©dĂ© en 1995. L’ouvrage original a Ă©tĂ© Ă©crit en 1976, mais n’est paru qu’en 1983 aux Ă©ditions Le Seuil. Il a Ă©tĂ© rééditĂ© en format poche aux Ă©ditions Points Seuil en 2010.

Plusieurs – dont l’auteur certainement – ont vu dans cette Ĺ“uvre, une fresque de la rĂ©alitĂ© politique et sociale des Congo des deux rives après les indĂ©pendances. Il est vrai que pauvretĂ©, nĂ©potisme, corruption, injustice, massacres et autres rĂ©voltes y sont dĂ©crits avec hargne. Cependant, Ă  bien y regarder, « L’antĂ©-peuple Â» parle surtout d’une histoire d’amour dramatique. Ou plutĂ´t d’un triangle amoureux. Dadou, un homme d’âge mur, honnĂŞte, mariĂ©, père, directeur d’école, tombe amoureux de Yavelde. C’est une Ă©lève de l’établissement qu’il dirige. Elle a la beautĂ© insolente de ceux qui sortent Ă  peine de l’adolescence. Dadou rĂ©siste de tout son cĹ“ur et de toute sa chair :

« Il se bouchait l’être pour en refuser l’entrĂ©e Ă  cette gamine. Elle pouvait profiter du moindre vide : entrer, s’installer, faire la loi. La loi des gamines, c’est les complications (…) Lui Dadou – le citoyen directeur, comment pouvait-il ĂŞtre amoureux – et amoureux de qui, nom d’un Dieu ! Il osa l’imaginer dans ses bras ; elle y Ă©tait : forte, Ă©lectrisante, plus battante. Dadou crut l’effacer en l’imaginant au bout de sa queue ; c’était une gaffe. Car elle y Ă©tait très bien, comme Ă  sa place, coiffĂ©e du mot « vierge Â». ça fait un doux bruit, une vierge Ă  l’autre bout, ça gĂ©mit dĂ©licieusement. Il allait imaginer ses gĂ©missements lĂ . Dadou cria : « Non ! Â» – comme quelqu’un qui aurait vu une arme Ă  feu dirigĂ©e sur lui, avec un doigt criminel sur la gâchette. Â».

Yalvede aime aussi Dadou. Comme on peut aimer Ă  son âge : avec fougue et dĂ©termination. Les vertus sont mises Ă  rude Ă©preuve. Et puis, il y a Yealdara – cousine de Yavelde –  qui aime tout autant Dadou, mais avec la sĂ©rĂ©nitĂ© et la sagesse que seules les annĂ©es peuvent apporter.

Un homme, deux femmes, le sexe, le pouvoir, l’argent, la dĂ©chĂ©ance, tous les ingrĂ©dients du drame sont rĂ©unis. La plume de Labou Tansi fait le reste et nous comprenons au fil des pages qu’il est des batailles qu’on ne gagne pas. Comme laquelle ? Celle contre l’amour pardi.

A lire absolument.

Flore Agnès Nda Zoa