De l’engagement littéraire

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Selon Jean François BEGAUDEAU, repris par Jean KAEMPFER, « qu’il le veuille ou non, un roman prend une position dans le champ idéologique contemporain. »

Pourtant, à la question de savoir comment embêter un écrivain, BEGAUDEAU répond : « Facile, dites-lui que son livre est engagé. » Le statut d’auteur « engagé » ou le qualificatif de livre « engagé » inquiète donc les auteurs.

Pour quelles raisons ?

Explorons quelques pistes.

L’une des réponses les plus fréquentes est la fameuse autonomie de l’art dont les écrivains seraient si jaloux. Soit. Mais reste la question de savoir si le fait d’avoir un positionnement, un questionnement, une réflexion propre, sur une cause ou un sujet d’actualité qui occupe la société dans laquelle il évolue, fait forcément de l’écrivain le laquais d’une idéologie ? La puissance dénonciatrice d’une écriture – par exemple – fait-elle automatiquement le lit de la littérature de propagande ?

Une autre raison serait l’effrayante obsolescence littéraire qui fait tant peur aux auteurs. En effet, un écrivain, voyez-vous, est un artiste et le rêve absolu des praticiens de l’art est bien évidemment que leurs œuvres deviennent immortelles. Eu égard à ce qui précède, on pourrait aisément comprendre que les maîtres des mots rechignent à s’immiscer dans les maux de la société par peur de condamner leurs livres à la péremption aussitôt que le sujet traité ne sera plus d’actualité. Le présupposé ici est donc clair : aucune cause n’est éternelle, tous les combats ont une fin. Est-ce vrai ? N’existerait-il pas des combats qui aient malheureusement survécu à l’usure du temps ?

Il est parfois aussi question d’esthétisme, comme pour laisser entendre qu’un auteur qui prend position ou traite d’un sujet d’actualité dans son roman fait automatiquement le sacrifice de la beauté et de l’excellence dans l’art littéraire. Ne serait-il donc pas possible de trouver une alchimie subtile entre l’engagement idéologique et l’esthétique romanesque par exemple, pour reprendre les mots de Mohammed AIT AARAB ?

De manière générale, le statut d’écrivain engagé est donc sujet à questionnement. Jean-Paul SARTRE et bien d’autres avant lui, n’ont eu de cesse de réfléchir sur ce sujet. Des écrivains contemporains, à l’instar de Sami TCHAK, aussi. Les réponses abondent mais ne satisfont jamais tout le monde : c’est normal, nous sommes dans le domaine intellectuel par excellence.

Pour quelle raison donc un écrivain Noir s’aventurerait-il sur ces sentiers difficiles ? Lui qui, rappelons-le, peine déjà à trouver un lectorat pour mille et une raisons.

Pourquoi diantre un écrivain Noir s’échinerait-il à parler d’empires et de civilisations africaines antiques, de razzias et de traite négrière, d’esclavage, de colonisation, de luttes pour l’indépendance, de néocolonialisme, d’impérialisme, de corruption, de pauvreté, de dictature, de prosélytisme et de fanatisme religieux, d’ethnocentrisme, de népotisme, d’immigration, de désertification, etc., etc. ?

Pourquoi fichtre se risquerait-il à parler de sujets qui, dans le meilleur des cas, n’intéresseraient personne et, dans le pire des cas, dérangeraient beaucoup de monde ?

Pourquoi diable se mettrait-il à dos un lectorat potentiel en écrivant des livres qui ne seront pas lus par le public ciblé parce qu’il est soit indifférent, soit indigent ?

Beaucoup de questions pour peu de réponses. Le constat est donc sans appel : l’engagement littéraire est pire qu’un risque pour les écrivains Noirs. C’est une opération kamikaze, à laquelle ne peuvent survivre que ceux qui détiennent la potion magique : LE TALENT.

Parce que « ceux-là », grâce à la qualité et à l’originalité de leur écriture, grâce à leur sensibilité propre, à défaut d’attirer le regard « des grands spécialistes du domaine », peuvent créer un engouement populaire, lequel reste à notre sens l’une des  récompenses les plus significatives pour un écrivain.

Cela dit, il n’en est pas moins formidable pour un écrivain de recevoir un encouragement, une appréciation, issus du regard que ses pairs portent sur son travail, ces derniers maîtrisant plus que quiconque la difficulté de son entreprise. Dans le cadre de l’année littéraire 2015-2016, parmi les Hemley Boum (Les maquisards), Max Lobé (Confidences),Tania de Montaigne (Noire), Paul Beatty (Moi contre Les Etats unis d’Amérique) ou Lyonel Trouillot (Kannjawou), notre Jury s’efforcera donc, tâche des plus ardues il est vrai, de  distinguer une seule de ces talentueuses plumes.

Nous ne trouverons jamais de mots assez forts pour remercier ledit, composé de Madame Hortense Sime et de Messieurs Théo Ananissoh, Boris Diop, Eugène Ebodé, Ambroise Kom (le president) d’avoir accepté de nous accompagner dans cette merveilleuse aventure. Il est vraiment remarquable de leur part de donner de leur temps, de leur énergie et de leur enthousiasme, de s’investir pendant de longs mois pour un si jeune prix littéraire.

Que dire enfin à la jeune équipe qui est à l’oeuvre depuis une année pour construire et faire vivre La CENE littéraire? Mireille, Lolita, Balthazar et Aurélien, même pas 30 ans et déjà maçons d’une si belle et ambitieuse entreprise! De votre Cameroun natal, vous êtes au pied du mur, bâtissez!

Flore Agnès NDA ZOA