Editions Gallimard, 2019
Le personnage principal, mais en même temps le sujet essentiel de ce livre, est le Cameroun ; ce pays, qu’on appelle aussi « l’Afrique en miniature », de par ses diversités culturelles et géographiques, ce pays aux deux cent cinquante langues.
C’est de son histoire contemporaine, peu glorieuse, que nous parle Hemley Boum, entre les figures des héros que sont Ernest Ouandié, et Um Nyobé, et les personnalités plus sombres et plus équivoques, tels les présidents Ahmadou Ahidjo et l’actuel Paul Biya ; ce pays dont la guerre de libération fratricide a accouché d’un Cameroun né sous le signe maudit du « Syndrome de Caïn » ; un pays dont l’histoire est bafouée, étouffée, et qui n’a de mémoire que d’amnésique.
Et puis, nous avons d’autres personnages, et une intrigue, que nous campe ce résumé : « Au soir de sa vie, Anna se remémore son existence mouvementée dans un Cameroun en pleine mutation. A ses côtés, sa fille unique, Abi, qui a choisi de vivre en France, tente de dénouer ses propres conflits d’accorder vie amoureuse et responsabilités familiales. Une toute jeune femme, Tina, rescapée des camps de Boko Haram, mêlera sa voix et sa destinée aux leurs.
A travers trois générations de femmes, Hemley Boum embrasse, en un même élan romanesque, à la fois l’Histoire contemporaine du Cameroun et l’éternelle histoire du cœur humain ».
Mais, comme si elle était abonnée au chiffre 3, l’auteure fait défiler aussi trois autres générations : « Je n’ai pas connu ma mère, elle est morte en me mettant au monde. Comme sa mère et la mère de sa mère avant elle. Trois générations de filles orphelines à la naissance, la vie qui commence dans la perte et le deuil. Albi vint briser l’anathème ».
Trois générations de femmes vivantes, trois générations de femmes mortes. Et leurs liens par-delà les mondes visible et invisible.
D’où l’importance du fil conducteur entre hier et aujourd’hui, pour le legs et l’héritage à laisser à la postérité. Quelle éducation transmettre ? De quoi un peuple est-il redevable à sa jeunesse, lorsque la colonisation lui a brisé toute estime de soi ?
Dans un récit, très souvent à la première personne, la romancière nous raconte de belles histoires, autour de thèmes comme : la quête du bonheur immédiat, la mort, l’enfance, la collectivité africaine et ses codes, ses us et coutumes, la religion (entre syncrétisme, intégrisme, et barbarie), la politique, la misère, la relation compliquée avec les Blancs, la polygamie, l’éducation des enfants, l’amitié, le rôle des femmes…
Autant de thématiques, où affleure l’amour que chante le poète-crooner Léonard Cohen :
« And Love is not a victory march
It’s a cold and it’s broken
Hallelujah”,
pour nous signifier que ce n’est jamais un sentiment simple, et qu’il est aussi une fontaine de souffrance.
Ici, il prend différentes formes :
L’amour de Abi, pour sa mère Anna, dont elle est toujours restée distante, mais dont elle du mal à nommer ce qui lui arrive, et qui va l’emporter : « la maladie », « le mal », remplacent le mot « cancer », au tout début du roman. C’est seulement plus tard, qu’elle osera : « le cancer du sein non traité avait métastasé ».
Ainsi décliné, son amour prend des allures de cris : « Maman se meurt, oh maman… », et de reconnaissance du sentiment : « Voyez-vous, pour moi, cette femme n’est pas simplement un corps qui rend les armes, c’est une personne chérie, une vie précieuse qui prend fin en silence ».
Cet amour, en réalité très fort, est perçu par Anna, comme celui d’une mère qu’elle n’a jamais connue : « Tu es ma mère maintenant, moi qui n’ai pas connu la mienne, j’aurai attendu d’être âgée et malade pour expérimenter l’amour d’une mère ». Une inversion des rôles qui n’enlève aucunement, ni n’amoindrit, la force de son amour pour sa fille : « J’ai toujours eu en moi un endroit secret où je pouvais me retirer en toutes circonstances. Je l’appelle mon château fort… Aucune des personnes qui ont traversé ma vie n’y a jamais eu accès. Aucune, hormis Abi. A peine était-elle née, que j’entends pour la première fois une voix autre que le mienne dans mon refuge. Un gazouillis d’enfant que je reconnus immédiatement. Je sus que j’étais enfin complète ».
Même si Anna a vraiment cherché les moyens pour l’héritage à lui transmettre, à travers son « amour distancié », leur amour n’en demeure pas moins fusionnel, malgré les apparences : « J’attendrais d’être à la fin de ma vie, malade et vulnérable, lorsque les fortifications dressées pour me protéger de l’adversité s’écrouleraient comme un château de cartes, lorsque les rôles se seraient inversés entre nous : Albi serait la mère et moi l’enfant qui chancelle, oui, j’attendrais ces ultimes instants pour que ma fille bien-aimée, tant aimée m’enveloppe dans la chaleur de son affection sans faille et m’accompagne dans le long, le douloureux chemin vers ma dernière demeure ».
L’amour de la fille comme viatique !
A la chanson de Léonard Cohen, fait écho, sublime, celle de Johnny Cash :
« You are my sunshine, my only sunshine
You make me happy when skies are grey
You’ll never know, dear, how I love you”.
Anna donnera son amour à ses “enfants adoptifs”, Jenny, Ismaël et Tina. A la mort violente, par déflagration, des deux premiers, au nom de Boko Haram, elle sera enragée et amère, convaincue d’avoir raté quelque chose dans l’éducation de ces enfants-là.
Comment évaluer la force de l’amour, sinon le reconnaître dans sa pureté, tel l’amour que Awaya voue à Anna, depuis sa venue au monde, sa tendre enfance, jusqu’à ce qu’elle lui trace un destin, en l’envoyant à l’école des missionnaires ?
« Ma petite mère était venue nous faire ses adieux, affilier ma fille à sa sœur Samgali, je pouvais déposer les armes, le combat était fini, les mortes avaient gagné.
Ma défaite m’apporta une sérénité inattendue… Si j’en avais douté, si j’avais su un moment pouvoir m’en extraire, Awaya me démontra de façon définitive que la mort même ne peut pas briser les liens tissés par l’amour, aussi anciens que le soleil ».
Ismaël et Jenny s’aiment comme Max et Tina.
Mais, en vérité, l’amour, aussi fort soit-il, ne peut hélas empêcher la tragédie du monde, entre les trahisons, la violence, la corruption, et la déliquescence d’une société, de tout un pays.
Julien trahit sa femme Abi par adultère, qui, en échange, lui rend la pareille en le trompant. Anna trahira Awaya en se jetant corps et âme dans les bras des sœurs missionnaires, et de la culture occidentale.
Louis trahira Anna son épouse, en prenant une deuxième femme à son insu, au nom d’un scabreux « calcul politique » opportuniste.
En même temps, il trahira son idéal de combat, de volonté de changer la société, d’éthique, en entrant dans le moule et le rang, pour l’argent et la notoriété, la gloire et l’ivresse du pouvoir.
Les élites du Cameroun, l’intelligentsia, en désertant les terrains de la culture et de la spiritualité, ont trahi leur patrie, et leur mission.
En nous décrivant la saga (tragique) de ces trois générations de femmes, et la malédiction qui, à des moments, semble les poursuivre, Hemley Boum nous plonge au cœur des réalités économico-socio-religieuses du Cameroun, par le biais des remous et des péripéties de son histoire politique.
« Nous nous étions construits sur le sang de nos frères. Nous avons-nous-mêmes profané leurs mânes. Notre pays s’est forgé sur le syndrome de Caïn. Si d’autres civilisations s’étaient de même articulées dans la violence, le chaos et la trahison, elles avaient su donner du sens à ce sacrifice, l’avaient théorisé. Elles avaient créé de toutes pièces des légendes qui rachètent l’horreur du geste, à défaut de la justifier et rendent possible l’édification d’une utopie fondamentale. Le Cameroun s’était contenté de poser une chape de silence sur la tragédie, un mutisme tissé dans un mélange explosif de chagrin, de hargne, d’auto-apitoiement et de défiance ». Alea jacta est. Le sort en était jeté !
A la place de la mémoire, on a installé l’amnésie, plus facile, pour ne pas regarder l’Histoire en face, la décortiquer pour mieux avancer.
Certes, la colonisation a existé et est passée par là. Certes, elle a voulu faire table rase du passé, qui, lui, résistait et restait tenace : « Du jour où je naquis, elle m’appela Bouissi-lever de soleil, défiant le sort, elle décréta qu’avec moi s’achèverait la malédiction de l’étrangère, un nouveau jour nous devait sa lumière… ».
Awaya utilisera les savoirs et les incantations ancestraux, pour casser l’inéluctable d’un maléfice : « Telle est la tragique histoire de mes mères, les filles maudites de Samgali ».
Certes, l’irruption de l’Occident dans nos sociétés traditionnelles, a entraîné beaucoup de bouleversements, et généré un maximum de mal.
Mais qui doit se poser des questions sur sa fidélité à soi, sur la Non-transmission d’une Conscience Historique positive, sur les choix politiques majeurs, pour construire une nation, une patrie, un pays multiculturel, une démocratie ?
Dans une écriture lumineuse, qui décrit superbement une galerie de portraits de mères et de leurs enfants, qui luttent pour la survie, dans une société patriarcale en lambeaux, Hemley Boum évoque la lâcheté des hommes, et la duperie des indépendances.
Face à ce tragique de l’existence, Anna se pose une question fondamentale : « Comment aurions-nous pu accoucher d’une renaissance qu’aucune fierté ne venait féconder ?»
En somme, la colonisation nous a amputé d’une bonne part de notre dignité, mais les responsables de la gabegie, de la forfaiture, des déprédations, de la concussion et de la faillite du système, sont locales. Ce sont les vautours qui refusent la réappropriation salvatrice de leur culture, et de leur identité, après les ravages de la colonisation.
Car, « qu’importaient les commanditaires si notre propre gouvernement accomplissait la sale besogne ? »
En effet, si l’Occident a pratiqué un large lavage de cerveaux : « Je pense aujourd’hui que le savoir occidental est à la fois élémentaire et despotique : il y a un Dieu unique et il est dans les églises, l’instruction est dans les livres, l’art est dissocié de la spiritualité, relégué dans des lieux prévus à cet effet, la loi est la même pour chacun et toute valeur est marchande. La réussite n’est comprise que comme matérielle. Les chemins de la vie sont fléchés, balisés, et vous avez le choix de suivre la voie qui vous est dévolue ».
Mais à côté de cette vérité, il existe un libre-arbitre qui doit sortir la justice de l’impunité, pour installer la clairvoyance et l’équité.
C’est ce qui amène Louis, après la jouissance des bienfaits du système, à faire un aveu de taille, comme une contrition : « Nous sommes tous enchaînés dans ce système où la prédation, les passe-droits, l’enrichissement personnel sans discernement deviennent le seul modèle offert à la postérité. Nous courons à une catastrophe sans précédent ». Et Dieu sait qu’il en a profité !
Et peut-être, pour juguler ce cercle vicieux, il faut arrêter la corruption de la vie publique par l’argent, et ainsi arrêter les mouvements de toute cette jeunesse avide d‘aller chercher l’Eldorado en Occident, ou alors d’essayer de donner un sens à leur vie, en rejoignant les fanatiques du jihad de Boko Haram.
Une jeunesse sans espoir est une jeunesse qui a perdu ses repères, donc à la merci de toute tentation facile d’une nouvelle vie.
C’est pour cela, que dans cette belle fresque sur l’histoire récente du Cameroun, beaucoup de personnages sont en quête d’une stratégie de survie, et cela malgré les violences répétées, le silence complice, la corruption-gangrène, la déception destructrice, traumatisante, face au peu de chance de réaliser ses rêves et ses espoirs.
Alors, l’issue se trouverait-elle dans l’éducation et les livres, dans la liberté, ou dans un ailleurs encore mal formulé parce que flou, mais comblé par un devenir lié à Boko Haram ?
Ce qui est sûr, c’est que la jeunesse vit un sentiment d’abandon, avec la corruption qui règne dans les hautes sphères de la société.
D’où l’importance de chercher, et de trouver les moyens pour l’apprivoiser, et la rendre utile à son pays.
Hemley Boum accorde donc une attention toute particulière à l’éducation, à l’instruction, au livre et à la lecture, comme chemins menant vers la liberté et l’utilité sociale : savoir servir au sein de la communauté, tout en gardant sa dignité.
Anna en est l’exemple-type : « Étudier, lire, devenir une femme instruite, assurée, remarquable, pour fuir la fatalité du deuil prescrit… ».
Mais la liberté a son revers de la médaille. Et comme l’écrivait le romancier sénégalais Cheikh Hamidou Kane, dans son célèbre livre philosophique « l’Aventure ambiguë », « ce que l’on apprend vaut-il ce que l’on oublie ? » ; car, en apprenant, Anna veut « ne plus être un bébé sans défense que l’on conduit dans une forêt en pleine nuit pour la confier aux esprits, ni une petite fille sous la protection d’une morte qui n’avait pas su veiller sur elle-même ».
Quitter Bouissi, pour devenir pleinement Anna, a un prix, et cette dernière en a une conscience aiguë : « Elle prit une résolution qui allait changer le cours de mon existence ; en même temps qu’elle m’éloignait des miens et me pousserait à trahir cette femme qui avait tant fait pour moi, pour nous… ».
Pour atteindre son objectif, les livres sont la porte d’entrée : « Les livres m’ont sauvé la vie, tous les livres… Les livres m’ont apaisée, enflammée, raffermie, ils m’ont fait rire et pleurer. Ils m’ont encouragé à analyser l’existence à l’aune de ma propre intelligence, à faire confiance à mon intuition, à tendre mon esprit pour percevoir, derrière les gens, la nature et les événements, la concordance de temps intime qui éclaire notre être au monde », même si cet amour n’incluait pas tous les livres : « J’ai dit que j’aimais tous les livres, ce n’est pas parfaitement exact. Je me suis longtemps tenu à l’écart de la littérature africaine, j’y lisais une injonction qui ne me convenait pas. Les auteurs étrangers parlaient à un « moi » intime, eux convoquaient la couleur de ma peau, ainsi qu’une histoire qui me blessait et m’humiliait », exception faite du philosophe, écrivain, poète et critique littéraire Congolais Vimbi-Yoka Mudimbe, dont Anna dit : « les œuvres romanesques de V.Y. Mudimbe m’ébranlèrent comme aucun avant. J’ai pensé à lui cette nuit-là, il aurait su décrire mon état d’esprit, car il ya une indéniable volupté à céder à la violence et à la corruption ».
Cette violence gratuite à laquelle cède un Boko Haram aux aguets, recruteur, et conscient de ce qu’il peut représenter face à ce vivier intarissable que constituent les laissés pour compte d’une société à la dérive.
Ainsi, au-delà de l’écriture riche, fluide, élégante et légère, pour peindre le tableau réaliste de héroïnes très humaines, écartelées entre leurs brillantes victoires et leurs mauvais choix, Hemley Boum nous confronte à la nouvelle génération des Ismaël, Tina-Aïsha, et Jenny-Djenabou, qui n’ont de perspectives qu’un horizon bouché, une société en décomposition, et des rêves inaccessibles.
Ce que sait Boko Haram, embusqué, prêt à cueillir tous les fruits mûrs de ce terreau favorable et fertile, de cette société en faillite.
C’est pourquoi, après avoir ensanglanté et causé bien des drames au Nord, Boko Haram touche désormais les villes du Sud, comme Douala, où il séduit jusqu’aux enfants éduqués à l’occidentale, et qui ne sont pas pauvres.
En fait, mourir pour mourir, mieux vaut choisir sa mort, comme un dernier pied de nez à une société qui n’a pas su les protéger.
Dans ce choix tragique : « Mourir pour Dieu est plus exaltant que mourir de faim, et d’humiliation ou parce qu’il n’y a plus d’antibiotiques dans le dispensaire du coin ».
Dans cette sale guerre, la violence est aveugle et lâche : « Une sale guerre où l’ennemi se cache derrière les gens ordinaires (…), où des femmes, des enfants innocents font office de bombes humaines, (où) la veuve et l’orphelin sont aussi dangereux que le combattant armé jusqu’aux dents ».
Ce que l’essayiste Gaston Kelman, Eugène Ebodé, et treize autres poètes-écrivains, venus d’horizons, d’ailleurs et de disciplines différentes, dont moi-même, ont appelé la « nuit des ombres », dans l’essai littéraire : « Contre la nuit des ombres, les plumes de la colère », publié aux éditions AfricAvenir, en 2016, à Douala.
Dans ce livre, sont dénoncés Boko Haram et l’intolérance.
D’où l’importance que, pour disséquer et expliciter cette violence du présent, il faut savoir qu’elle s’est nourrie de tous les extrémismes, à la lumière d’un passé dévoyé non assumé.
Si l’auteure nous parle du lâche et horrible attentat perpétré par Boko Haram, en 2015 au marché de Kolofata, causant 150 morts, dans la région de l’Extrême-Nord camerounais, et de l’odieux kidnapping massif de jeunes filles dans un collège de Shibok, au Nigéria, c’est pour nous rappeler à la triste réalité de faits récurrents, et d’un danger qui n’est jamais loin. Le témoignage si poignant de Tina, sur sa survie dans un camp de Boko Haram, est horriblement édifiant.
Qu’est-ce qui explique ces « fugitifs » dont parle Achile Bembe ?
Hemley Boum tente une explication : « Pour mes personnages, la religion, les liens familiaux défectueux, la loyauté amicale sont à l’origine du départ. Pour d’autres, ce sera peut-être la quête de meilleures perspectives. Pour tous, tout semble préférable à l’immobilisme. Il s’agit d’une sorte de résistance par le corps. Une euphorie due au fait de pouvoir, pour une fois, tenir les rênes de sa propre vie ».
Mais est-ce suffisant ? Ne sommes-nous pas là devant une situation où la relégation de la mémoire des adultes devient le lit d’une impossibilité relationnelle intergénérationnelle ? Toute relation constructive est coupée et bannie, parce que non souhaitée. En niant leur mémoire, les adultes ont poussé leurs descendants dans l’extrémisme de mouvements aussi dangereux et prédateurs que Boko Haram : « Les jeunes qui partent complexifient l’image commune de ces « fugitifs ». Jenny, Tina, Ismaël étudient et sont entourés. Ce ne sont pas des enfants nécessiteux, ils ont des parents qui font ce qu’ils peuvent. Mais ces adultes-là vivent dans un refoulement lié à tout ce qui n’a pas été réglé dans leur passé. Aucune possibilité de rencontre n’est envisageable. On ne peut pas guérir un mal que l’on s’obstine à nier ».
Finalement, ce texte, où les témoignages sont très poignants, où la plupart des personnages sont bouleversants, et en quête d’un bonheur immédiat, peu importe le prix à payer, est-il le roman de trois générations de voix de femmes dont les voix se complètent et s’entremêlent, pour entonner un bel hymne-hommage à toutes les femmes camerounaises ? Est-ce le roman de la déconfiture d’un pays qui s’appelle le Cameroun ? Est-ce un roman d’amours éclatées, plurielles ? Est-ce un roman d’éducation et de transmission ? Est-ce le récit de personnages en quête de liberté et de reconnaissance ?
En tout cas, c’est le roman de la rédemption : celle de Louis, qui revient à son idéal de lutte ; celle de Anna « réconciliée » avec sa fille Abi ; celle de Abi, réconciliée avec elle-même et avec la vie ; celle de la mémoire des rescapées comme Tina : « Tina l’avait dit :il fallait qu’une personne, une seule, entonne le chant du chagrin pour que le chant de deuil soit repris par les autres. Nous étions là pour cela. C’était notre devoir de survivants. Nous sommes tous des réchappés dans ce pays, à des degrés divers ».
C’est la rédemption de Anna devant l’horreur des exactions de Boko Haram, et la disparition si brutale de ses « enfants adoptifs » : « J’aurais voulu les nommer. Toutes ces personnes : hommes, femmes, enfants, les nôtres lâchement assassinés. Je ne pouvais accepter de remiser ces morts-là avec les autres dans le puits sans fond de notre pays sans mémoire. J’aurais voulu écrire à l’encre indélébile leur histoire individuelle dans le livre de nos vies ».
Cette histoire-là, Ismaël et Jenny l’écriront dans le sang de leur rédemption. Cette amitié-amour est scellée dans la sacralité de liens indissolubles, et d’actes héroïques utiles : « Jenny et Ismaël offraient ce qui leur restait d’humanité et de noblesse pour le bébé à sauver : cette enfant est le nôtre ; le plus beau témoignage qui puisse exister sur la petite bande de Bonabéri ».
Ce que Tina et max prolongeront volontiers, par la promesse d’attente de Max, pour célébrer leur Pacte d’Amour.
Avec l’Espoir que fait naître la petite Jenny, quelles magiques dernières images, d’une poésie étincelante, pour un texte qui avait commencé dans la noirceur de la maladie !
Dr Ndongo MBAYE
Poète-écrivain, sociologue et journaliste
Professeur d’université
Directeur de la Collection Poésie « Paroles arc en ciel », des éditions Lettres de Renaissances (Paris et Sénégal)
Membre d’Honneur du Cénacle Européen Francophone, Fondateur des Prix Léopold Sédar Senghor : « des Arts et des Lettres », et « de Poésie » (France)
Prix 2020 du Mois de l’Histoire des Noirs à Laval, au Québec
Membre d’Honneur de l’Alliance contre le Crime Organisé en Afrique (ACCA).