Editions Iwari, 2019
Ce roman est un véritable thriller, un terrifiant huis-clos dans la forêt, un roman noir, et un roman-plaidoyer pour l’écologie et l’environnement, presque un conte cruel.
L’auteur prend prétexte d’une simple escapade qui aurait dû se passer sous les meilleurs auspices, pour nous entraîner dans une course folle, une terrible descente aux enfers, et dans les profondeurs noires et obscures de l’âme humaine.
L’histoire nous raconte, dès le début, la détermination d’Eliwa, personnage principal, qui, à force de persuasion et de suppliques, va convaincre son frère Bika, de les prendre, elle et sa meilleure amie Ilama, dans son excursion pour la découverte des parcs nationaux de l’Est du pays.
Mais comment aurait-elle pu imaginer tous les bouleversements qui vont surgir sur leur route, durant ce qui, d’une banale balade, va devenir un cauchemar, une infernale odyssée ?
En effet, que signifient tous ces faits étranges, ces signes à la queue leu leu, avec leurs lots de disparitions, de morts, d’accidents, d’événements insolites ?
« Aurait-elle dû tenir compte des mises en garde d’un « fou » lucide, et d’une petite fille monstre ? Peut-être, mais elle ne l’a pas fait ».
Or, elle aurait dû décoder et décrypter tous ces signes qui lui étaient envoyés, et à elle seule, l’innocente, et la personne au cœur pur : « la tablée dansait gaiement quand, un homme d’âge mûr, apparemment « fou » lui aussi, s’approcha de nous et commença à débiter des choses incompréhensibles à notre entendement. Les autres ne semblèrent pas prêter attention à ce qu’il disait, mais ses paroles parvinrent tout de même à retenir mon attention ».
Dans l’ésotérisme de ses messages codés, le « fou » éclairé dit : « Sachez que «seuls les rayons du soleil, percent les ombres de la dense forêt ». Muetse-Désirée utilise sa plume, pour peindre le tableau d’une société en proie à ses démons : intolérance et arrogance, paraître, mort violente, vices, sectes et leurs dérives destructrices.
L’auteur prend le parti pris de choquer, de soulever des hauts le cœur jusqu’à nous faire vomir et nous glacer d’effroi, pour dénoncer tous les maux majeurs d’une société malade.
Dans ce récit fort bien écrit, au rythme haletant, plein de suspense et de rebondissements, le titre du livre « escapade mortelle », reflète bien la réalité et les violentes pérégrinations et péripéties de ce groupe, dans la dérive incontrôlée et incontrôlable, de cette excursion.
Dans cette aventure, nous avons vraiment l’impression saccadée, de faire ce voyage dans la forêt. C’est comme si, caméra à l’épaule, nous suivions tous les protagonistes, pour visualiser les scènes incroyables de cette funeste promenade.
D’ailleurs, cette virée en forêt équatoriale, rappelle étrangement des moments d’une expédition sur le fleuve Amazone, et dans la forêt amazonienne, à la recherche de l’Eldorado, dans un film où l’acteur principal était le brillant mais ténébreux Klaus Kinski.
En 23 chapitres, et à travers cette échappée maudite de dix jeunes personnes, avec leurs deux guides Mbaka et Omokwé, en réalité des « protecteurs » désignés de la forêt, l’auteure nous raconte une fable pleine de sang, de terreur, d’angoisse et de furie, où le mystique, le mystère, et le merveilleux, ne sont jamais absents ni très loin.
Elle nous campe un décor où elle trace les contours de thématiques comme le fétichisme, la quête (ici du malheur !), la responsabilité personnelle et collective, la nécessité impérieuse de la préservation du milieu naturel, l’amour, l’espoir.
Bala, la jeune fille au visage de « monstre », ex Miss Beauté de l’Ogooué-Ivindo, et le « fou » Ekawé, un ancien professeur-chercheur, universitaire de haut vol, sont ostracisés, pour leur apparence .Il subissent tous les malheurs au nom de leur différence négative, dans une société intolérante qui privilégie le paraître, plutôt que l’être.
Alors que la romancière privilégie l’innocence et le cœur.
Le gorille, chef des Gardiens, dira à Eliwa : « Te voilà arrivée à bon port. Si tu es là, c’est parce que tu es sauvée, car tu es venue ici en toute innocence. Le mal ne vient jamais de la forêt, mais du village », lieu de perdition, de déprédation et de prédation.
Quand Moira, devenue fantôme voulant des aveux de son homme Paul Bika, lance : « pour sortir d’ici, la solution se trouve dans vos cœurs », nous pensons à Antoine de St Exupéry qui, dans le Petit Prince dit : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux ».
Les prédictions sont claires pour le « cœur sensible qui écoute et qui comprend », comme le chante si bellement le poète Guinéen Keïta Fodéba, dans son sublime poème épique : « Minuit ».
A Eliwa l’on dira : « Pour toi, ce n’était qu’une simple balade, tu étais d’ailleurs la seule pour laquelle ce n’était qu’une simple balade », sous-entendu : tous les autres avaient des projets cachés, inavoués.
En réalité, l’hypocrisie et la dissimulation étaient les sceaux de cette escapade mortelle, dont le but ultime, l’objectif final, et la victime toute désignée, étaient Eliwa elle-même, comme l’agneau sacrificiel. Elle devait expier, car elle était le sang essentiel. Mamely, sa cousine infernale, lui avoue : « Toutes les personnes présentes ici ont pour seul but de te tuer. Oui, c’est cela l’ultime but », porte obligée de « la mauvaise quête » dont fait allusion Moira, qui dévoile : « Je sais que certains parmi vous sont venus chercher quelque chose dans cette forêt. Mon conseil, le seul moyen de vous en sortir, c’est d’abandonner vos projets inavoués, sinon aucun de vous ne sortira d’ici vivant… sachez que tous ceux d’entre vous qui font la mauvaise quête, feront la mauvaise récolte ».
A croire qu’elle a raison, car personne n’en sortira vivant, à part Eliwa.
Cependant, cette randonnée qui transporte le lecteur au cœur de l’Ogooué-Ivindo, n’est qu’un prétexte pour nous confronter à sa problématique, qui pose comme préalable, l’importance de la protection de la nature, à une heure cruciale, celle où le changement climatique nous rappelle à l’ordre, pour embrasser la nécessité d’une transition écologique, à l’échelle mondiale.
L’objectif prioritaire, c’est de garder intact l’environnement… pour garder l’intégralité de l’homme.
Comme le déclare clairement Muetse-Désirée Mboga : « le but de cette œuvre est de sensibiliser à la protection de l’environnement, mais en mettant en exergue le côté sacré de la nature, pour les Africains que nous sommes. Je suis sortie un peu des sentiers battus, en essayant de faire ressortir plutôt, le côté traditionnel, le côté sacré, le côté culturel de l’importance de la forêt, pour faire comprendre que nous aussi, nous avons un devoir, une responsabilité qui part de chacun de nous, celle de protéger la nature ».
Dès lors, ce questionnement nous décrit la forêt, comme un sanctuaire à protéger, un lieu sacré de vie. C’est pourquoi, elle exige un certain respect, sinon elle nous demande un prix à payer.
D’où l’hécatombe de morts, et de désagréments pour le groupe, qui a osé braver les interdits, et violer et agresser, ce qui est devenu un labyrinthe de feuillage hostile.
Parce qu’on a enfreint les règles, en ne levant pas la bannière de la paix : « vous vivez peut-être en ville, mais nous sommes d’abord des Noirs, des Africains, et nous avons nos us et coutumes, notre façon de « communiquer » avec le monde, avec la nature, avec la forêt… ces recommandations nous les faisons à tout le monde, et ce, quel que soit l’endroit que vous allez visiter, de la forêt ou de l’eau. Sachez que ce ne sont pas des endroits inhabités, d’autres entités que nous y habitent… », avertit Omokwé le guide-protecteur. Et ce d’autant plus que « le parc de l’Ivindo est l’un des endroits les plus « sauvages » au monde, l’un des endroits où l’empreinte de l’homme est le moins avérée. La forêt est vierge, complètement vierge, aucun de ces arbres n’a jamais été coupé ; c’est ce qu’on appelle une forêt primaire ».
Toute transgression requérant une punition, se pose indubitablement la question de la responsabilité individuelle, et collective. La forêt est un bien commun, mais chacun doit porter son regard de bienveillance, sur celle qui est censée être notre mère : « Vous devez savoir que dans nos cultures, nous ne considérons pas que le nature nous appartient, mais plutôt que nous lui appartenons, au même titre que les autres êtres vivants. A cet titre, nous respectons la faune et la flore comme nos égaux : il va de soi qu’avant de violer leur territoire, nous les rassurions sur nos bonnes intentions », continue Omokwé.
D’où l’importance des sacrifices et des offrandes, pour baliser le chemin de la paix, et apaiser les esprits.
Et comme en Afrique, tout commence par des salutations appuyées, préludes à toute bonne relation, on nous avertit : « le salut est personnel mon frère, chacun d’entre vous sait d’où il vient, où il va et pourquoi il est là, c’est à chacun de faire son offrande à la nature ».
L’identification et l’identité sont exigées, pour fluidifier les relations avec la nature .Ce sont des préliminaires nécessaires, pour instaurer une relation de confiance. La forêt est comme notre propre demeure, n’y entre pas qui veut, ni n’importe comment. Il faut apprivoiser ce lieu sacré, pour y entrer en paix : « N’oubliez pas de vous présenter intérieurement en jetant cet argent. Dîtes qui vous êtes, c’est-à-dire votre nom de famille, celui de votre père, de votre mère. Dîtes d’où vous venez, de quel village, de quelle province ; et dîtes pourquoi vous êtes là. Et vous le ferez ainsi à l’entrée de la forêt ».
Etant entendu que la relation de confiance, émanant du « et dîtes pourquoi vous êtes là », est faussée, dès l’instant qu’ils sont motivés par ce fameux but inavoué, qui consiste en vérité, à justement venir piller les trésors inaliénables de la forêt, notamment pour s’enrichir et obtenir le Pouvoir, en s’appropriant la « corbeille », sous les Chutes du Djidji.
Dès ce moment, est engagée la responsabilité personnelle de chacun d’entre eux, pour participer à l’harmonie de l’écosystème, et à la relation de confiance, prélude à des retrouvailles homme/nature.
Car, quel genre d’humanité voulons-nous montrer, sinon celle dont parlait Antoine de St-Exupéry, dans « Terre des hommes », dans laquelle, « Être homme, c’est précisément être responsable, c’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à « bâtir » le monde » ?
Ce roman au rythme trépidant, effréné, avec des intrigues sataniques, diaboliques, machiavéliques, et où les personnages font des rencontres étranges du 3ème type, est un roman où Mutse-Désirée pose, concomitamment, la nature de l’animal, et sa nécessaire relation à l’homme.
Après des phases de transmission, d’apprentissage de la sagesse, et d’éducation et d’initiation, Eliwa peut faire son mea culpa : « Les animaux avaient toujours été à mes yeux des sous-êtres dont je ne pouvais un seul instant imaginer qu’ils méritaient mon respect, et même dans la forêt, j’avais pensé être le maître des choses, du seul fait d’être un être humain… J’apprenais aujourd’hui que ces êtres étaient à bien des égards semblables aux hommes, et méritaient le respect, et leur prétendue « sauvagerie » n’était en fait que le résultat d’une incompréhension, et la nécessité de préserver leur environnement ».
Ainsi, exit l’esprit de domination, et l’arrogance du mépris. Après tout, l’homme n’est-il pas aussi un animal ?
Ossamy, philosophe et pédagogue, nous éclaire sur nos rapports aux animaux : « je suis de ceux qui pensent que la peur naît de l’incompréhension, nous ne comprenons pas leur langage, ils ne comprennent pas le nôtre, et c’est pareil pour tous les animaux du monde, ils n’attaquent que lorsqu’ils se sentent menacés ».
D’où l’immense surprise d’Eliwa de découvrir que les Gardiens du Temple qu’est la Forêt sacrée, ce sont des animaux, et qu’à leur tête, trône un sage gorille !
Alors oui, c’est vrai que ce texte raconte des histoires de cadavres, de violences, de monde mystérieux, d’actes barbares indescriptibles et horribles, de déviances, de trahisons, de choses très sombres et même glauques ; mais, en même temps il pose des actes, pour éclairer des espaces de Lumière, où éclosent des fleurs pour protéger la nature, pour faire germer l’amour, et enfin l’espoir.
L’amour qu’Ossamy décrit si délicieusement : « Tu sais, Ely, l’amour, ce n’est pas ce que l’on croit, l’amour n’a pas un chemin linéaire, au contraire il emprunte d’imprévisibles voies et naît où on ne l’attend pas. Il ne faut jamais méjuger un amour, car on ne sait ni comment, ni même pourquoi il naît… », ce que comprendra très bien Eliwa, lorsqu’elle tombera amoureuse de ce même Ossamy, dont pourtant, elle s’est toujours méfiée !
D’ailleurs, la scène dans laquelle ils font l’amour, est une pure merveille, et une scène d’anthologie érotique, et poétique, où leurs corps et leurs esprits, exaltés, fusionnent et explosent, après de chaudes et fébriles étreintes.
En se retrouvant en terre d’amour, puis en mettant au monde son bébé, l’enfant d’Ossamy, Gillian, Eliwa rééquilibre la relation homme/nature.
Devenu un soleil, elle pourra retrouver sans peur, le chemin de son aventure, donc retourner en forêt, car elle sait maintenant décrypter les paroles du « fou » : c’est elle le soleil, dont les rayons perceront les ombres de la dense forêt.
Dr Ndongo MBAYE
Poète-écrivain, sociologue et journaliste
Professeur d’université
Directeur de la Collection Poésie « Paroles arc en ciel », des éditions Lettres de Renaissances (Paris et Sénégal)
Membre d’Honneur du Cénacle Européen Francophone, Fondateur des Prix Léopold Sédar Senghor : « des Arts et des Lettres », et « de Poésie » (France)
Prix 2020 du Mois de l’Histoire des Noirs à Laval, au Québec
Membre d’Honneur de l’Alliance contre le Crime Organisé en Afrique (ACCA).
Prix du mois de l’Histoire des Noirs à Laval au Québec en 2020
Membre d’honneur de l’Alliance Contre le Crime Organisé en Afrique (ACCA).