En compagnie des hommes – Véronique Tadjo

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Le virus Ebola, l’une des maladies les plus craintes du XXI siècle, est au cœur du dernier livre de l’écrivaine franco-ivoirienne Véronique Tadjo. En compagnie des hommes, sorti en août 2017 chez les Editions Don Quichotte, retrace des moments saillants et dramatiques avec une plume trempée d’amour.

Ebola : le virus qui se transmet par le toucher. Le germe pour lequel il faut entre 21 et 25 jours d’incubation avant d’être victimes de ses effets. Fièvre, coup de poignard dans les tempes, douleur intense dans tous les muscles, céphalées foudroyantes, affaiblissement total, sang craché, sang dans les vomissements, diarrhées, éruptions cutanées, maux de gorge brûlants. Pour finir avec du «sang brisant toutes les digues de la chair ».  La première fois qu’une épidémie d’Ebola se manifeste c’est en 1976, mais le fléau dont nous parle Tadjo date de 2014 et dure jusqu’au début de l’année 2016, en faisant environ 11.323 morts et 28.646 personnes infectées. En compagnie des hommes est donc un roman réaliste, divisé en plusieurs témoignages, s’étalant sur seize chapitres écrits avec simplicité et immédiateté. Son but : nous offrir une vision panoramique d’un phénomène ayant touché 3 pays : la Guinée, le Libéria, et la Sierra Leone. Tadjo s’immisce donc dans les pensées d’un médecin, d’une infirmière, d’un volontaire local, d’un bénévole étranger, d’une mère en agonie, d’un préfet, de la tante d’un orphelin, d’un homme qui perd sa fiancée, d’un chercheur congolais, d’une fille guérie du microbe. Chose exceptionnelle, elle emprunte aussi le point de vue d’un baobab, d’une chauve-souris et du virus Ebola lui-même. La romancière, auteure d’ouvrages pour la jeunesse aussi bien que de poèmes, Grand Prix d’Afrique Noire en 2005 choisit ici de dresser un portrait de la situation en jonglant entre un pays et l’autre du continent sans jamais spécifier lequel.

L’ombre

Des zones d’ombre et de lumière surgissent de ces histoires de vie. L’ombre l’emporte sur la lumière car nombreux sont les murs qui se dressent en même temps que la maladie. Il y a le mur socio-économique : les pauvre meurent en premier, « les réfugiés, les va-nu-pieds qui s’amassent dans des camps pour fuir une guerre fratricide ou pour échapper à la sécheresse et à la famine qui s’ensuit ». Oui, parce que ce sont eux qui se nourrissent des animaux sauvages, premiers porteurs du virus. Au début, d’ailleurs, les habitants de la ville ne prêtent pas attention aux morts des villages, ces gens qui « sont des laissés-pour-compte, des oubliés ». De plus, on voit que quand Ebola atteint les habitants d’un bidonville, ceux-ci sont mis en quarantaine, incarcérés, comme des pestiférés dans leur propre quartier, dans une misère d’égouts à ciel ouvert. Condamnés à crever entre eux.  Et quand la colère éclate et des bandes de jeunes armés de pierres et de bâtons essaient d’arracher le fil de fer barbelé qui bloque le passage, les soldats de leur propre pays leur tirent dessus.

Puis il y a le mur de l’ignorance, celui bâti  avec les pierres de certains prêches religieux où résonnent les voix de prêtres expliquant qu’Ebola est l’incarnation du Mal, venu punir les gens qui se sont éloignés de la parole de Dieu,  alors que « les autres n’ont rien à craindre ».

Concernant l’ignorance vis-à-vis des cadavres, ces « bombes ravageuse » qui contaminent plus que tout, « malgré les avertissements, beaucoup préfèrent cacher leurs malades. Ou mourir avec eux si la menace s’avère réelle ». Ceci car les rituels de la mort sont pour certains indispensables et ils n’arrivent pas à accepter l’idée que le corps soit mis « dans une housse en plastique, aspergé de désinfectant et enterré par des hommes masqués dans une fosse commune ». Ce n’est pas possible non plus de négliger le mur d’un Occident qui cherche à s’isoler, pris dans la psychose d’une épidémie planétaire  dans laquelle l’Afrique serait « le berceau de toutes les souffrances », le lieu où se jouerait l’avenir de l’espèce humaine. Et pourtant, c’est le même Occident dont les compagnies pharmaceutiques veulent s’assurer qu’il y a bien un marché, de l’argent à gagner dans la recherche avant de poursuivre dans la mise au point de toutes les possibilités de soin du virus.

La lumière

La lumière traverse toutefois ce roman, car En compagnie des hommes souhaite donner la voix à des êtres ordinaires aux actes extraordinaires. Comme cet étudiant qui se bat, même au péril de sa propre vie, pour aider les équipes d’enterrement, ou encore la fille « rescapée » de la maladie qui, désormais immunisée, accueille les gens malades à leur arrivée dans un centre hospitalier, les rassure sur la possibilité de survivre et fait de l’information de sensibilisation dans les quartiers. Mais aussi les infirmiers, les médecins, les pulvérisateurs, les guérisseurs traditionnels, ceux qui « peuvent faire des kilomètres à pied pour aller soigner un malade et, quand ils arrivent à son chevet, c’est à la tête et au corps qu’ils s’adressent« .

Quand le virus Ebola prend la parole, il le fait pour donner une leçon de morale en montrant comment les hommes s’entre-tuent et s’autodétruisent bien plus que ce qu’il a pu faire. Plus que la science et l’argent, d’ailleurs, il avoue être amené à reculer par l’action des « gens ordinaires qui petit à petit ont compris qu’ils seraient plus forts s’ils pensaient ensemble, travaillaient ensemble, luttaient ensemble au-delà de leurs intérêts immédiats ». Le baobab, de son coté, explique à quel point la déforestation a amené les animaux sauvages, à la recherche de nourriture, à s’approcher des villages pour se nourrir grâce arbres fruitiers des hommes : si la chauve-souris, porteuse saine du virus, a été capturée et mangée par des humains, ce n’est donc pas un hasard.

La lumière est également amenée par les descriptions de la forêt et de la vie des animaux faite par Tadjo, qui a une sensibilité particulière pour la faune et la flore africaines. Sa plume attentive aux équilibres écologiques désormais échoués, traverse avec amour et respect ce qu’il reste de notre communion avec le monde de la nature. Une des images les plus touchantes du livre est d’ailleurs celle de la jeune fille en phase de guérison, dans un centre de soins. Tous les jours, pendant son traitement de réhydratation, la jeune femme ressent le besoin de toucher le baobab qui surgi dans la cour de l’hôpital. Symbole qui porte l’espoir d’une réconciliation entre les êtres humains et les autres êtres vivants, ceux qui nous sont intimement liés : depuis toujours en notre compagnie.

Écrivaine ivoirienne, Véronique Tadjo a dirigé jusqu’en 2015 le Département de français de l’Université du Witwatersrand à Johannesburg. Ses livres sont traduits en plusieurs langues, du Royaume aveugle (1991) à L’Ombre d’Imana : Voyages jusqu’au bout du Rwanda (2001) et Reine Pokou, concerto pour un sacrifice (2005).pour lequel elle a reçu en 2005 le Grand Prix de Littérature d’Afrique noire.

Source: Africultures