Trop de soleil tue l’amour

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Un roman de Mongo Beti paru en France le 20 janvier1999 aux éditions Julliard

Les histoires d’amour finissent mal en général, dit l’adage. Pour Zamakwé, journaliste féru de jazz et de whisky, elles finissent en catastrophe, emportant sur leur passage tout ce que peut rêver un homme de stabilité et d’harmonie. C’est à une bonne partie de rigolade sur fond d’Afrique postcoloniale que se livre Mongo Beti dans cet ouvrage, prenant un malin plaisir à mettre en scène des intellectuels au potentiel frustré, et à les torturer dans un enchaînement d’évènements cocasses et pathétiques.

Ce récit nous sort de l’univers sérieux, précis et consciencieux de Mongo Beti, pour nous plonger dans une enquête policière qui met notre héros dans une situation délicate. C’est que Zamakwé n’a pas la langue dans sa poche, et n’hésite pas à s’en servir pour fustiger l’apathie du pouvoir en place, substance nocive pour l’épanouissement intellectuel. Pour se venger, des puissances cachées vont placer un cadavre dans sa demeure afin de l’accuser de meurtre, puis l’accabler d’ennuis dans lesquels il va entraîner Bébète, sa compagne. De Charybde en Scylla, Zamakwé va se retrouver pris dans l’engrenage qu’il fustigeait.

Cherchez la femme

L’histoire d’amour chaotique qui lie Zamakwé et Bébète ressemble à s’y méprendre à celle qu’entretinrent Francis Scott Fitzgerald et à sa bien-aimée, Zelda. Pour le meilleur et pour le pire se traduit pour eux en « pour le sexe et pour les scènes », et leur amour se boit d’un coup.Heureusement, d’ailleurs : c’est au rythme de cette relation imbibée que se construit l’histoire. L’auteur en profite pour y saisir les conditions de vie d’une gent féminine négligée, amenée à trahir ses désirs dans les bras d’hommes assez riches pour la nourrir. Il nous rappelle que les premiers perdants dans toute guerre, ce sont les femmes, et qu’elles entraînent avec elles tout leur monde, et à travers elle, une certaine idée de l’amour.

Les fils prodiges déchus

Comment survivre au retour au pays ? Mal acceptés dans une Europe encore raciste des années 70, plus tout à fait adaptés à leur contrée d’origine, Zamakwé et ses amis représentent des générations d’Africains perdus entre leur patrie de corps et leur patrie d’esprit, les deux pouvant être confondues dans un ragoût qui peut vite devenir insipide. Des générations dont les attentes restent sans réponse dans le pays d’origine, car instillées par le pays « des études » ; et dont les aspirations politiques ne trouvent pas d’écho dans le pays qui les a formés.

Sisyphe et la bananeraie

Le dernier chantier auquel Mongo Beti s’attaque est la démocratie, ou sa parodie, vécue de l’intérieur par ceux qui en fabriquent la façade : le voyage de Sisyphe en république bananière, ainsi que la journaliste Celia Sadaï a nommé sa critique de cet ouvrage. « La vie, c’est la merde, et les élections (…), de belles phrases autour de la merde. », clame un personnage.

A travers les travers de ce pays d’Afrique imaginaire, dans une improvisation musicale qui fait exploser ses surprises à la figure du lecteur, pour son plus grand plaisir, Mongo Beti brosse le portrait d’un monde en profonde mutation. Les mutations nécessitant presque toujours, pour se produire, que des générations soient sacrifiées.

Touhfat Mouhtare-Mahamoud