“Dantala vit dans la rue avec les voyous de Bayan Layi, fume la wee-wee sous le baobab, fait le coup de poing pour le petit parti. Souvent, les bagarres tournent mal mais, comme on dit, tout ce qui arrive est la volonté d’Allah. Un soir d’émeutes, pris en chasse par la police? Il doit s’enfuir…”
Auteur : Elnathan John, Nigéria
Genre : Roman
Éditeur : Métailié
Date de parution : 2018
Livre proposé par Ngoan Beti
Le premier roman de Elnathan John, « Né un mardi », était en réalité au départ une nouvelle intitulée « Bayan Layi » , développée pour devenir « Born on tuesday » en 2015, dans sa version originale.
L’histoire raconte l’odyssée , dans l’extrême Nord-Ouest d’un Nigéria en ébullition, du personnage principal Dantala ,ancien almajiri ayant déjà bouclé son enseignement coranique , qui vit dans la rue, avec d’autres jeunes , qui ont constitué une mini société de voyous , et de laissés pour compte.
Lors d’une élection, en rupture de ban, payés par le « Petit Parti pour causer des troubles , ils vont essayer d’incendier les bureaux du parti concurrent « Le Grand Parti ». Cette action va devenir très vite un cauchemar , et tourner à l’émeute , avec comme corollaire la violence aveugle.
Pour sauver sa vie , Dantala doit s’enfuir vers d’autres horizons d’ancrage. C’est à Sokoto qu’il va trouver un autre espace de vie, où , grâce à son intelligence , son instinct de survie, et son humilité , il va devenir l’homme de confiance privilégié de Sheikh , l’imam salafiste de la principale mosquée de cette ville.
Hélas , les vicissitudes de la vie vont lui tomber dessus , quand Malal Abdul-Nur , l’un des dirigeants purs et durs de ce lieu de culte , forme son propre mouvement radical et fondamentaliste , dans la mouvance islamiste et jihadiste.
Dès lors , commence à couler le sang , avec son lot de violence.
Dans ce maelström , Dantale-Ahmad doit alors décider , après une long chemin d’initiation parsemé de questionnements , quel genre de musulman et quel genre d’homme il veut devenir.
Les différents chapitres
Ce livres est composé de 5 grands chapitres d’inégale grandeur , mais chacun avec son importance :
Chapitre I
Bayan Layi
Sokoto
Doggon Icce
Chapitre II
Retour à Sokoto 2006
Combat
Jibril
Chapitre III
Mots 2009 – Mes Mots Anglais
-Nom :Ahmad (Dantala)
Sang pour sang
Amour fraternel
Chapitre IV
Un goût de haram 2010
Nouveaux espaces
Choléra
Révélations
Bilans
Fuite
En comptant les jours : du jour I au jour XX
Chapitre V
Black Spirit
Cependant , avec la structuration du roman , et l’importance primordiale de l’apprentissage dans la quête de savoir de Ahmad-Dantala, le lecteur peut prendre des libertés avec le récit , pour créer lui-même un sixième chapitre constitué uniquement des Mots Anglais appris par le personnage principal .
Ce qui donnerait :
Chapitre VI
Patron
Desolate
Gibberish
Shrug
Discovery
Terrify
Sheet
Kohl
Obsess
Why
Anthropology
Familial
Derby
Focal
Sect
Il faut remarquer ici, que ces mots nouveaux , dans une langue nouvelle, vont constituer l’archéologie de sa relation à la langue anglaise.
Les Thématiques
Dès l’entame du roman , nous sommes plongés de plein fouet dans une ambiance de violence, une violence que d’ailleurs raconte une Parole-Double , entre vérité et mensonge :
« Les garçons qui dorment sous les branches du kuka à Bayan Layi aiment bien se vanter à propos des gens qu’ils ont tués .Je ne me joins jamais à la conversation car je n’ai jamais tué un homme .Banda oui, mais il n’aime pas en parler…la voix de Gobédanisa est toujours la plus forte. Il aime bien rappeler à tout le monde le jour où il a étranglé un homme… Gobédanisa et moi , on avait été dans un lambu pour voler des patates douces , mais le fermier nous a surpris pendant qu’on y était .Alors qu’il nous poursuivait , en jurant de nous tuer s’il nous attrapait , il est tombé dans un piège à antilopes. Gobédanisa ne l’a pas touché .On est seulement restés à côtés de lui et on l’a regardé se débattre et se débattre et puis s’arrêter de se débattre ».
En réalité, même si la violence exacerbée est réelle et présente , elle est véhiculée par une parole qui veut faire peur , une parole de circonstance dont l’objectif final est très souvent d’impressionner , pour se hisser à une place prépondérante , dans la hiérarchie de cette mini société de jeunes déstructurés , désocialisés, prêts à tout pour survivre hors d’une société qui marche et fonctionne sans eux.
Mais , à y regarder de plus près, l’espoir est permis , et la rédemption possible, car Dantala n’a « jamais tué un homme ».
C’est pourquoi on peut dire que ce roman est un long chemin de croix , de quête plurielle , d’initiation , qui va de la violence à la foi, la tolérance , la spiritualité , et la paix avec soi-même.
Mais parler de spiritualité et de tolérance n’est pas fortuit , dans la mesure où, avant même le début du roman , en exergue, Elnathan John nous parle du poète mystique Persan du 13 ème siècle Rumi, de son vrai nom Djalal-al-Din Muhamad Balkhi , un penseur qui a beaucoup influencé le soufisme , et qui, dans ses écrits et sa sagesse , fait beaucoup penser à un autre philosophe du 19ème et 20 ème siècle , le Libanais Khalil Gibran , qui a écrit ce merveilleux et instructif livre qu’est « Le Prophète ».
De nombreuses thématiques vont sillonner le texte , en relation constante avec des personnages lumineux, sombres, de paix, violents , multidimensionnels , polyphoniques.
Ainsi le thème fondamental de la violence, va être décliné dans une forme éclatée :
-la violence de cette jeunesse délaissée , l’une des couches négligées , oubliées , de la société , avec des personnage comme Banda.
-la violence de la société elle-même qui les a mis au ban, en marge d’une vie décente
-la violence du fondamentalisme , du radicalisme religieux , incarné par le leader sulfureux et dangereux Malan Abdul-Nur
-la violence aveugle de l’état-policier terroriste (dans le sens de qui apporte et incarne la terreur et la torture , à l’image du soldat A. Mutu qui exécute les ordres avec cynisme et sadisme).
De la même manière multiforme, nous trouverons le thème de la quête :
-à la recherche d’un ailleurs de paix et de sérénité, dans sa fuite , Dantala-Ahmad va chercher un autre lieu de vie , où il ne sera plus en danger .
-la quête de l’Autre, avec ses différentes rencontres , positives comme négatives
-la quête de Dieu qu’il rencontre sous sa forme de tolérance , de rédemption , de paix
-la quête de la spiritualité , de la sagesse, de la maturité et de la responsabilité , qu’il trouvera avec l’imam Sheikh
-la quête du savoir , notamment au-delà des sermons fondateurs de Sheikh , son apprentissage des Mots Anglais, avec celui qui va devenir son meilleur ami : Jibril , l’Ange Gabriel ; comme lui il est Ahmad, donc le Prophète Mohamed
-la quête de l’amour , avec le retour vers sa source matricielle , sa mère Umma (la Communauté Islamique ) , et la rencontre élective avec Aïsha , qui le hantera jusqu’à la fin , même quand elle sera mariée à Alhaji Usman Mamman Dahiru , devenu sénateur
-et enfin la quête de soi de Dantala-Ahmad , qui va se retrouver en trouvant la religion et l’homme qu’il aura choisi d’incarner , d’épouser , de devenir ; en trouvant enfin sa voie.
Le thème de l’amour est développé dans la relation avec sa mère Umma, et celle qui fait palpiter son cœur :Aïsha, la fille de son Maître Sheikh.
Mais les deux amours lui échappent , à cause de la complexité des relations humaines affectives, et du Destin. Sa mère meurt avant de vraies retrouvailles avec son fils. Il perd Aïsha , avec la mort horrible et morbide par décapitation de son père , par les sbires sanguinaires radicaux de Malan Abdul-Nur.
Son rapport à l’amour est donc un rapport malheureux, tragique, de souffrance.
Quant à la thématique de l’amitié et de la fraternité , elle va s’incarner avec le personnage de Jibril , qui deviendra son mentor dans l’apprentissage de l’Anglais, là où, inversement, Dantala-Ahmad , lui servira d’enseignant en Arabe.
Cette relation amicale , qui sera très forte, sera aussi la relation qui ouvre les portes sur l’Infini Espoir , après toutes les dures et douloureuses péripéties affrontées.
Après avoir échappé aux tortures et à la mort , puis à la « folie » de savoir sa dulcinée mariée à un autre, seules sa foi en Dieu , et la figure emblématique de Jibril deviennent lumineuses :
« Dans l’armoire , je vois un vieux chasbi en bois. Je le prends et égrène lentement les perles entre mes doigts
Soubhanalahh
Alhamdoulillah
Alahou Akbar
Au charbon de bois , dans le coin en bas à droite du mur qui fait face à la porte , il y a des mots griffonnés en tout petit.
Je suis revenu te chercher . On m’a dit que tu étais mort mais je ne les ai pas crus . Je reviendrai encore inch’allah.
Il n’écrit pas son nom .Il sait que je saurai.
J’ai la tête qui tourne .Je pousse un soupir. Mon cœur me dit qu’il va bien . Jibril va bien. Je m’allonge sur le sol frais en béton. Le temps ralentit à nouveau. Je pense à toutes les choses que je dois faire : me couper les cheveux, me laver à l’eau chaude , commencer à écrire mon histoire .Puis prendre un bus et aller là où il m’emmènera . »p 258
La vie reprend ses vieux droits .La Lumière , de nouveau , éclaire le chemin .Tout est permis.
Dans ce monde qui est en train de changer , de basculer avec tous les signes annonciateurs d’une fin de règne , l’auteur Elnathan John montre à quel point son regard scrutateur et affûté ,peut disséquer sa société.
Il ne laisse rien au hasard .Avec une écriture tranchée mais pleine d’humour et de poésie , entre monologues intérieurs et dialogues , il nous déroule tous les sujets qui l’intéressent et l’interpellent .
Ainsi , il met sous nos yeux , les problèmes de l’ethnicité et de l’ethnocentrisme, notamment la relation conflictuelle traditionnelle latente, entre le Haoussa et le Yoruba.
Malan Abdul-Nur devient le traitre Yoruba , dont l’essence même est la trahison et la sauvagerie : « un Yoruba est un Yoruba .Peu importe qu’il devienne musulman .Il te poignarde dans le dos .Ils sont comme ça , Hypocrites . » p 210
« Comment est-ce qu’un Yoruba converti peut venir faire tout ça ici ? Nous le renverrons dans le coin de brousse d’où il est venu. » p 216
Et pourtant, tous les Yorubas ne sont ni fourbes , ni des broussards : Dantala-Ahmad dit : « dans ma tête , j’ai envie de lui dire que je partage son avis sur les Yorubas parce que tout le monde dit la même chose et qu’on peut toujours trouver des exemples , mais ensuite je me souviens que Jibril est lui aussi Yoruba. Il ne m’a jamais poignardé dans le dos ». p 210
Bienfait , que Dantala-Ahmad lui a bien rendu , quand ses tortionnaires-soldats ont voulu faire de Jibril un moudjahidine , il répond à deux reprises: « Jibril n’est pas un moudjahidine, c’est tout ce que je sais .Vous pouvez me frapper jusqu’à demain ,refuser de me donner à manger , mais c’est tout ce que je vous dirai . »
La sacralité de l’amitié a eu raison de l’ethnocentrisme.
En abordant le thème de la femme , Elnathan John, à travers les deux personnages de Aïsha et de Khadija , nous délivre plusieurs messages :quand Dantala-Ahmad veut épouser à brûle-pourpoint Aïsha , cette dernière , très remontée et très fâchée , lui fait comprendre qu’elle a droit à la parole et au choix de son époux ; par conséquent, elle a son mot à dire, et que c’est par son consentement que tout doit commencer . Elle affirme sa liberté.
Alors que dans la relation polygamique de son mari Shuaibu , et les épreuves subies , Khadija est devenue « une femme asséchée », brisée , abattue sous le poids des servitudes.
« Tu sais que je n’ai pas pleuré ?Commence-t-elle .Que pourrais-je donc pleurer ,quand toutes mes larmes m’ont déjà été prises il y a longtemps ?Ah, si on m’avait dit qu’une personne pouvait épuiser sa réserve de larmes , j’aurais juré que ce n’était pas vrai .J’ai pleuré pour mon mari .J’ai pleuré pour Umma. J’ai pleuré pour mon ventre vide .Chaque jour. Alors quand Umma est morte, j’ai cherché des larmes .Je me suis frappé la poitrine et j’ai secoué mon ventre mais rien. Les larmes de la vieille que je suis étaient épuisées . » p 118
Sa position de femme n’est pas enviable ; et pour cela , elle la porte comme un boulet au pied .Elle subit .Elle se tait .Elle pleure jusqu’à ne plus pouvoir.
Dans un autre registre, lorsque Elnathan John nous parle du plaisir et de la jouissance , il met en scène un Dantala-Ahmad en proie à ses désirs les plus forts, à ses fantasmes les plus fous , à travers la relation à son corps , tantôt objet d’une jouissance solitaire assouvie (la masturbation) , tantôt comme objet d’un plaisir haram , interdit , qui suscite la honte .
En réalité, Dantala-Ahmad ne connaîtra aucune vraie relation sexuelle.
Les thématiques de la folie et du temps posent les fondements d’une appréhension du réel.
La folie comme déstructuration , comme ce sera le cas avec la folie de Dantala-Ahmad quand il cherche à sauver des livres , alors que tout le monde cherche à sauver sa peau.
Puis la folie qui le guette, parce que sa mémoire est trop vive face aux affres des douleurs infligées par les tortures subies. Au point de souhaiter la mort .
Enfin sa folie , signifiée par une tierce personne , quand il voit que son Amour Aïsha épouse un autre homme. On décrète sa folie parce que son langage devient décousu aux oreilles des personnes qui l’entendent proférer des mots dé-raisonnables .
Il est Blacke Spirit ! Même Saudatu ne le reconnait pas , et le prend pour un fou…
« Un fou. Abdul-Nur est fou. Il fait ça parce que je l’ai envoyé au tapis pendant le débat .Il essaie de me prouver qu’il peut diriger un Etat islamique .Mais il va tuer tous les ces gens. Si jibril a un peu de bon sens , il trouvera le moyen de partir de là-bas avant que son frère ne les mène tous à la destruction. », telles sont les paroles de Sheikh , pour qualifier la paranoïa du religieux fondamentaliste .p 210
La mémoire comme dernière demeure connue, voilà le lieu par excellence du temps , dans sa relativité plurielle.
Mais nous savons que le temps et l’espace sont deux éléments très importants pour nous repérer.
Et si l’auteur met des dates 2003, 2006,2009 et 2010 à des chapitres, plus le décompte morbide des jours de terreur , de tortures et de violences de l’Etat-policier, ce n’est sûrement pas pour aligner des chiffres, mais pour accentuer l’effet dramatique de la narration de son récit.
Ces éléments permettent aux lecteurs de situer les personnages dans l’espace de leur vie, et sur leurs chemins et itinéraires.
Dantal-Ahmad dira : « Il est intéressant de voir que le temps est différent pour des gens différents…mais qu’est-ce vraiment qu’une heure ? Je ne suis pas sûr que quiconque puisse affirmer vraiment ce qu’est une heure .Parce que mes heures sont incontestablement plus longues que celles des soldats au-dehors , qui peuvent rentrer chez eux et s’allonger dans des lits moelleux .Comme certaines heures sont courtes , d’autres sont longues .Ou peut-être ai-je un problème pour distinguer ce qui est réel de ce qui se passe uniquement dans ma tête… » p 252
Et c’est à ces moments-là que la mémoire fait un travail , où le flot des souvenirs devient notre bol d’ai frais , et le moyen de ne pas tomber dans la folie : « dans ma tête je redeviens un enfant, assis sur le sol en béton fendillé de Malam Junaidu , en train de réciter les mots du Coran. Le kuka de Bayan Layi se dresse haut et solitaire , et les garçons de Bayan Layi soufflent de la fumée de cigarette et de wee-wee en l’air… » p 253
Tel Cheikh Hamidou Kane avec le personnage de Samba Diallo , Elnathan John nous ouvre les portes de l’école coranique , et nous plonge par extension , dans la situation actuelle de maltraitance des talibés , dans certains Daaras du Sénégal.
Mais là où Dieu est présent , le fatalisme règle les problèmes . Tout est « de la volonté d’Allah. »
Il faut noter qu’autant la figure du père est inexistante : « Puis Alfa , dont le père habite près de chez mon père à Sokoto , et qui venait d’arriver à l’école , m’a dit que mon père était mort des mois plus tôt. Je ne lui ai pas demandé ce qui l’avait tué parce que , Allah me pardonne , ça m’était un peu égal. Il y avait longtemps que je n’avais pas vu mon père , et il n’avait jamais pris de mes nouvelles . » p 19/20,
autant les deux personnages les plus présents , même absents, sont Banda , « mon meilleur ami » et protecteur, et sa mère Umma dont il dit : « Shuaibu explique que mon Umma souffrait beaucoup .Elle avait complètement cessé de s’alimenter et elle vomissait chaque fois qu’ils essayaient de la nourrir de force. Je pensais m’effondrer si jamais j’apprenais un jour que ma mère est morte. Mais en entendant à quel point elle souffrait , je ressens à la fois de la tristesse et du soulagement dans mon cœur .Du soulagement parce que Allah a abrégé ses souffrances.
Allah est miséricordieux . » p 99
Le langage , la langue et la communication
Finalement, au-delà de la narration d’un récit sur un itinéraire de vie entre deux pôles, entre lesquels il y eut de la violence, des quêtes , et une rédemption salvatrice , Elnathan John pose une problème qui , à ses yeux, est cruciale et essentielle , à savoir le langage et la langue ; in fine, le problème de la communication.
Comme pour d’autres grands écrivains et savants comme Sony Labou Tansi et Cheikh Anta Diop , il se pose la question primordiale : dans quelle langue communiquer, dire , nommer, pour être le plus explicite , le mieux compris ?
Et comment exprimer le nommable ?
Déjà , par choix, l’auteur Elnathan John refuse de traduire les mots haoussa , parce qu’il considère que toute langue est un pays, une patrie, un terroir , une Terre de Mots , un drapeau-étendard derrière lequel on se range pour aller à la conquête de…
Donc, en cela, elle n’est jamais neutre , parce qu’elle est porteuse de ses sonorités , de ses musicalités , des ses dieux et de ses démons.
Sony Labou Tansi fustige et maudit les personnes qui ne savent pas nommer, mais aussi celles qui ne nomment que le malheur et la misère.
Alors que pour Cheikh Anta Diop , toute langue est connotée psychologiquement, politiquement , et économiquement.
Dès lors, dira-t-il, les deux mamelles d’un peuple pour asseoir sa Liberté et son Développement, sont la Conscience Historique, et les Langues Nationales.
En établissant une relation de transmission de l’Arabe, du Hausa, de l’Anglais , et en créant un répertoire de mots anglais que Dantala-Ahmad va s’approprier pour constituer son propre glossaire , Elnathan John place son lecteur au cœur de la relation symbolique à la langue , de la communication, donc de la quête du sens , de la signification, pour donner du sens et faire sens.
L’auteur nous dit que la langue n’est jamais innocente , et qu’à ce titre, l’Anglais est une langue raciste et sexiste . elle prend parti.
Ce règlement de compte avec la langue va conduire l’écrivain à affronter ses propres démons intérieurs , afin d’expliciter sa pensée et son combat ; « En réglant la radio pour trouver des stations , je suis tombé sur BBC Hausa et BBC English .J’aime bien BBC Hausa. Surtout les informations .Je trouve surprenant de pouvoir apprendre de nouveaux mots haoussas sur une station étrangère .Comparer les informations de BBC English et celles de BBC Hausa est intéressant .Parfois j’entends un mot anglais que je ne connais pas , puis je l’entends en haoussa et je comprends .D’autres fois, il y a une expression haoussa que je n’ai jamais entendue , comme Majalisar Dinkin Duniya , ce que BBC English appelle les Nations Unies. Si je n’avais pas entendu l’anglais j’aurais traduit cela par « Association pour rejoindre le monde ».
Mais si j’avais entendu Nations Unies j’aurais appelé ça Dinkakun Kasashe en haoussa. Les mots deviennent autre chose lorsqu’ils passent du haoussa à l’anglais et vice-versa . » p 92/93
En utilisant un style rapide , haché , teinté d’humour , vivant ,avec des fois des phrases sans ponctuation, et en posant le problème du sens à donner aux mots selon les contextes culturels et liés à une civilisation , Elnathan John semble aller vers la création d’une langue littéraire , à l’image d’un auteur grand écrivain Nigérian comme Amos Tutuola , écrivant en 1952 son éblouissant « L’ivrogne dans la brousse ».
Dans « Né un mardi » , l’auteur élabore un métatexte avec un intéressant métalangage , qui le place dans la lignée des grands écrivains à suivre.
C’est en ce sens que nous pouvons affirmer, qu’Elnathan John a su passer de l’écriture d’une aventure , à la belle aventure d’une écriture singulière.
Avec ce premier roman qui appelle à des lectures plurielles possibles , et qui se lit avec le plaisir qu’a ressenti Dantala-Ahmad lorsqu’il a rencontré le goût de la canne à sucre , nous pouvons dire qu’Elnathan John nous a donné pour toujours le goût délicieux et savoureux de la lecture.
Ne fait-il pas dire à son personnage : « Peu de choses ressemblent à la canne à sucre .Quand j’ai envie d’en mâcher , je n’aime pas en avoir seulement un ou deux petits morceaux parce que ça me donne juste envie d’en avoir plus et je ne peux pas , alors je suis énervé à cause du désir que cela a créé en moi…Il y a quelque chose de particulier dans le dernier morceau de n’importe quoi. C’est comme si le plaisir était concentré dans ce dernier morceau –c’est la dernière chose qui fait que l’expérience est complète… ».
Et si « Né un mardi » était notre dernier morceau de n’importe quoi !
Ndongo MBAYE
Docteur-es-lettres , sociologue et journaliste
Poète-écrivain
Professeur d’université
Membre du Comité Scientifique et Directeur du Département « Lettres et culture » de l’Institut Culturel Panafricain et de Recherche (ICPR) de Yène , Sénégal
Membre du Conseil Scientifique de l’Ecole des Sciences Sociales Appliquées de Basse Casamance (ESSABC)
Membre du Comité Scientifique de la Revue RASP (Revue des Sciences Sociales ) du Mali
Responsable de la Collection Poésie « Paroles arc en ciel » des éditions Lettres de Renaissances (France et Sénégal)
Ex Responsable à la retraite du Pôle Loisirs Retraités et Handicapés de la ville de Choisy Le Roi (France)