Choc au pays des lions endormis !

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La Rivière de Vie, Ngugi Wa Thiong’o, Paris, Présence Africaine, 1988.

Le Kenyan Ngugi Wa Thiong’o dépeint les transformations et les contradictions des sociétés africaines en pleine mutation.

La rencontre entre cultures-croyances que plusieurs éléments opposent a installé un climat délétère au pays des lions endormis. En effet, depuis l’arrivée de la “nouvelle foi” à Siriana, deux blocs s’affrontent: les nouveaux chrétiens et les adeptes de la tradition. Waiyaki, le jeune héros du livre, apprécie autant la force et la sagesse de ses aïeux que le nouvel enseignement des missionnaires chrétiens. Il se donc donne pour mission d’établir l’équilibre et la paix entre les deux blocs, mais son attitude jugée ambivalente le fait condamner par les deux factions, chacune lui reprochant ses relations avec le clan adverse.

L’auteur accompagne cette “guerre des clans” d’une charmante idylle amoureuse “à la sauce africaine” : le cœur de Nyambura « dialogue » avec celui de Waiyaki. Une histoire d’amour presque muette, un syncrétisme religieux et sentimental à la Kenyane. Le ballet amoureux entre les deux jeunes gens est présenté avec pudeur et sans excès.

Particularité importante à relever dans ce roman, l’auteur fait usage de sa langue maternelle, le Kikuyu et il présente également les us et coutumes de son pays le Kénya. Sa démarche est de promouvoir la pérennité de l’âme culturelle des peuples africains à la façon de Daniel Nsegbe (Ceux qui sortent dans la nuit), dont l’écriture se veut une manière de restaurer la mémoire culturelle africaine.

L’écrivain Kenyan met sa littérature au service de la quête des racines et de la valorisation d’une africanité authentique. Sa plume exprime sa volonté de voir les sociétés africaines libérées de « l’imaginaire des langues ». Wa Thiong’o cherche à résoudre la problématique de l’identité linguistique africaine, rendue confuse par la présence simultanée d’une multitude de langues non-africaines en Afrique.

A coup sûr, Ngugi Wa Thiong’o souhaite opérer une sorte de “décolonisation de l’esprit” de ses pairs africains, afin qu’ils prennent conscience de l’importance de leur responsabilité dans le processus de remise à niveau de la mémoire culturelle des groupes sociaux auxquels ils appartiennent. Cette œuvre est à mettre dans le peloton de tête des classiques littéraires africains.

Étanchons désormais notre soif aux eaux fraîches de « la Rivière de Vie » !

Nkul Beti