De la diversité culturelle

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Chers lecteurs,
Permettez-moi exceptionnellement de vous offrir en guise d’éditorial pour ce mois d’octobre 2016, mon discours pour l’inauguration des cafés littéraires de La CENE Littéraire qui a eu lieu le 24 septembre dernier à Genève.

Le 16 décembre 2013 est née à Lausanne, ma fille Malaïka.

Dès le jour de sa naissance, s’est posée à moi la question de la transmission culturelle.  En effet, en tant que parents vous savez certainement que le patrimoine culturel est le plus riche des héritages que nous puissions léguer à nos enfants.

Le plus riche parce que notre culture englobe nos valeurs, nos croyances, nos coutumes, nos langues, nos traditions mais aussi notre histoire.

En faisant ce cadeau à nos enfants, nous leur permettons d’avoir le bagage nécessaire pour apporter, dans le cadre de leur génération, leur contribution à l’édification de la culture universelle.

Édification, vous l’aurez compris, pour nous à la CENE Littéraire, la notion de culture universelle ne signifie, ni une super culture géniale et hégémonique à laquelle tous les peuples de la terre sont censés se soumettre, ni une culture innée et virtuelle, flottant là-haut dans les nuages, magiquement belle et de laquelle chaque personne devrait naturellement se reconnaître.

Selon notre approche, la notion de culture universelle, s’entend dans l’échange que peuvent avoir des peuples d’origines différentes, dans un espace déterminé.

C’est ça le mot : c’est un échange, c’est un partage auquel chacun, chaque peuple est tenu d’apporter sa contribution, de donner le meilleur de lui-même.

A partir de là, en tant que parent, nous avons le devoir, je dirais même l’obligation de donner à nos enfants, le bagage culturel qui leur sera nécessaire, non seulement pour se construire en tant que personne, mais nécessaire aussi pour apporter leur contribution aux échanges culturels de leur époque.

Parce que pire que …sans argent, il y a ….sans culture. Pour la simple et unique raison que dans ce domaine-là, il n’y a ni loterie, ni ascenseur social pour rattraper le coup.

Je vous disais donc au début de mon propos, qu’à la naissance de Malaïka s’est posée à moi la question de la culture que son père et moi-même allions lui transmettre.

Il faut dire que Malaïka est née dans une maison ou la bibliothèque foisonne de classiques littéraires occidentaux, à l’instar de Baudelaire, Victor Hugo, et autres Camus et Sartre. Ce qui est bien et très bien même. Ce sont de très belles références.

Mais le fait voyez vous, est que Malaïka est le fruit d’un métissage.

C’est un bébé multiculturel comme j’aime à le lui dire.

Elle ne peut pas être nourrie d’une seule culture, ce ne serait pas suffisant. Elle serait mal nourrie et mal préparée. Il doit y avoir une part de son père et une part de moi pour qu’elle soit complète.

C’est déjà le cas physiquement, il n’ y a pas de raison qu’il en aille autrement culturellement. Nos gènes culturels doivent pouvoir se mélanger comme l’ont fait nos gènes biologiques lorsqu’elle était dans mon ventre, sinon il y aura forcément un bug quelque part, tôt ou tard.

Je parle, je parle, mais vous aurez bien évidemment compris que Malaïka est une image.

Ce que je veux vous dire en réalité est que le monde dans lequel nous vivons actuellement tend certes au métissage et à la globalisation, mais à un moment il faut peut être se poser la question de savoir quelle globalisation souhaitons nous ? Voulons-nous ingurgiter le même menu tous les jours ?

Pour faire simple et terre à terre, j’ai coutume de prendre le poulet comme exemple. Considérons le poulet comme la culture.

La question que vous devez vous poser est celle de savoir pourquoi vous contenterez vous de manger du poulet en nuggets comme les américains tous les jours, quand vous avez la possibilité de le manger en Yassa comme chez les sénégalais, en poularde comme chez les français, en DG comme chez les camerounais ou en kedjenou comme chez les ivoiriens ? Pourquoi vous contenter, pourquoi vous restreindre  quand vous avez autant de possibilités ? Pourquoi être pauvre, quand vous avez la possibilité d’être riche ?

La protection de la culture universelle, à la CENE Littéraire, ne signifie donc pas que chacun a le droit d’exprimer sa culture, mais l’inverse, que chacun devrait avoir la possibilité d’avoir accès à toutes les cultures. Parce que les cultures dans leur diversités, sont finalement le bien commun de l’humanité. Prenons en soin, prenons soin de toutes.

C’est de cela qu’il s’agit à la CENE, c’est pour cela que mes amis et moi avons créé la CENE.

La CENE est le cercle des amis des écrivains noirs engagés.

Je vais essayer de vous expliquer mot à mot les composantes de ce sigle.

Je commence par le cercle des amis des écrivains : ceci signifie tout simplement que la CENE n’est pas une association d’écrivains, mais une association de lecteurs. Et que lorsque les écrivains interviennent dans nos activités courantes, c’est souvent pour nous apporter une lumière soit sur une œuvre, soit sur un concept comme cela va être le cas aujourd’hui.

Est-ce que je dois aussi vous définir ce que c’est qu’un écrivain ? Je ne vais pas vous faire cette insulte, alors allons directement à Noir et à Engagé, parce que finalement ces deux termes peuvent, à juste titre, vous sembler, contradictoires avec ce que je vous ai expliqué avant sur la notion culture universelle. Ils peuvent vous paraître fermés, alors que l’universalisme implique l’ouverture.

Commençons par noirs :

– ce terme implique deux choses à la CENE Littéraire : premièrement : il faut bien évidemment entendre par ce mot tout simplement, africains subsahariens vivant en Afrique et africains de la diaspora et leurs descendants. On aurait pu utiliser l’expression consacrée Africains et Afro-descendant, pour paraître politiquement correct, mais c’est juste par esthétisme que nous ne l’avons pas fait. Nous la trouvions redondante.

Le but de notre association étant de soutenir, à notre petit niveau, je dirais même à notre extrêmement petit niveau, l’apport de l’Afrique et de ses descendants à l’édification de cette culture universelle dont il est question, nous avons tout simplement voulu donner la parole en priorité aux principaux concernés. Aux écrivains africains et afro-descendants. Car voyez-vous, trop souvent, on pense pour l’Afrique, on parle pour l’Afrique, on conçoit pour L’Afrique, et on écrit pour l’Afrique.

Mais le fait est que, si l’ Afrique doit bien évidemment se nourrir des cultures des autres et même se nourrir de sa propre culture selon l’entendement qu’en ont les autres, c’est bien, ça l’enrichit, mais elle doit aussi s’atteler à nourrir les autres de sa culture, selon sa propre approche, selon sa propre conception, selon son propre entendement.. Elle ne doit pas seulement absorber, elle doit aussi pouvoir donner. Enfin, je veux dire officiellement.

Elle doit pouvoir offrir au monde, ses valeurs, ses coutumes, ses langues, ses traditions, son histoire, selon elle-même.

Voilà le premier sens du mot noir à la CENE Littéraire.

Le second sens  que nous donnons au mot noir est que: L’Afrique locale ou immigrée est aujourd’hui l’un des plus vaste vivier en matière de littérature et de culture en général. On n’arrête pas d’écrire. Mais on est peu lu. Peu lu par nous-même, et peu lu par les autres, pourtant on écrit. On écrit beaucoup et bien, très bien même. Question ? Quel  est donc le problème ? Réponse : la visibilité pardi !

Pour vous parler de mon expérience personnelle, dans mon enfance et mon adolescence africaine, j’ai plus lu et entendu parlé de Victor Hugo et de Baudelaire que de Mongo Beti ou de Cheikh Anta Diop. Si tel était mon cas au en tant qu’Africaine au Cameroun, je n’ose même pas imaginer ce qu’il en était d’une jeune française en France ou d’une jeune canadienne au Canada.

Comme vous l’aurez compris, La CENE a donc pour but de promouvoir les cultures noires, les mondes noirs telle qu’ils sont perçus et vus par les noirs eux-même.

Mais le plus important dans cette histoire et là je tiens vraiment à ce que vous m’entendiez, le plus important est que cette promotion, cette mise en avant, a une vocation de partage, partage avec ceux qui s’intéresse à nous, partage avec ceux qui veulent vivre avec nous, partage avec ceux qui veulent échanger avec nous, pour construire ensemble cette culture universelle. C’est de ça qu’il s’agit et rien que ça. Je résume, s’il est question d’écrivains noirs à la CENE Littéraire, l’association elle-même, ses membres sont composés de gens d’origines diverses, noirs, blancs, jaunes, verts et même transparents. Le plus important somme toute étant de s’intéresser à la littérature noire. Tout lecteur est donc bienvenu à la CENE Littéraire.

Je vais vous parler maintenant de la notion d’ engagement :

Il est perçu à La CENE Littéraire comme une mise en avant d’une réflexion même polémique, sur un sujet historique, politique, économique, philosophique ou de société, des mondes Noirs, en respectant le cadre de la tradition de lutte pour la liberté, de l’affirmation de soi, mais aussi d’ouverture et d’humanisme. …d’humanisme.

Au final à la CENE Littéraire, ce qui nous importe c’est l’amour. L’amour des lettres. Des belles lettres.

Cet amour, nous le concrétisons de 4 manières.

– La première est la remise annuelle de deux prix littéraires , le prix du livre engagé qui a primé l’année dernière, l’excellent de roman de l’écrivaine Hemley BOUM ici présente et le prix de l’engagement littéraire qui a été remis au professeur Bwemba Bong.

– La deuxième manière est la tenue d’un site internet et d’une page Facebook ou chacun d’entre vous, les fameux blancs, noirs vert et transparents dont j’ai parlé tout à l’heure, chacun d’entre vous, a la possibilité de publier une chronique littéraire classique ou tout simplement son sentiment sur un livre qu’il a lu.

– La troisième manière est la mise en avant annuelle et médiatique d’un écrivain dont l’engament dans la littérature noire a été retentissant. Cette année était consacrée à Mongo Beti, la prochaine année sera consacrée à Sembène Ousmane. C’est donc un vol du Cameroun vers le Sénégal avec escale en Suisse que nous prenons.

– La quatrième manière est la tenue de cafés littéraires dont nous procédons aujourd’hui au lancement et par lesquels nous entendons, tous les deux mois, donner la parole à une femme ou un homme de culture pour qu’il vienne nous entretenir sur un  thème ou sur un livre.

Voilà, j’en ai terminé avec mon propos sur la CENE Littéraire, et la transmission culturelle, sauf que, pour pouvoir transmettre, il faut déjà pouvoir créer. Et à ce sujet, j’ai deux nouvelles pour vous. Une bonne et une mauvaise. Je commence par laquelle ?

– La mauvaise nouvelle est que nous n’avons malheureusement et de loin pas tous le génie créateur.

– La bonne nouvelle est que deux êtres merveilleux qui ont la chance de l’avoir ce génie créateur, nous ont fait l’honneur et l’amitié d’être ici aujourd’hui avec nous pour nous entretenir sur ce sujet.

J’ai nommé madame Hemley Boum et Monsieur Momar Seck !

Flore Agnès NDA ZOA